Les justifications du mercenaire n'eurent pas raison de la bouderie de Svenhild. L'épée, peut-être contaminée par les humeurs de sa nouvelle maîtresse, n'approuva guère plus, et fit part de son mécontentement. Alors que la viking passait mécaniquement la main autour du pommeau, pour s'assurer encore que l'arme reposait bien contre elle, Razielle lança une douleur aigue dans ses veines de la main jusqu'au bras. Svenhild eut un mouvement réflexe de douleur ; elle donna un coup sur sa droite, et heurta le renard malgré elle. Surprise, elle regarda le mercenaire, puis l'épée, puis le mercenaire, et lâcha finalement :

- C'est pas moi, c'est elle.

C'était une simple explication, le ton n'était pas accusateur. De toute évidence, elle n'était ni désolée, ni désapprobatrice du geste par intermédiaire de Razielle. Elle aurait préféré que l'épée ne dût pas lui faire mal pour atteindre le renard géant, mais elle comprenait ses caprices. La fin justifie les moyens.

Ces mots furent les seuls que Svenhild prononça durant le trajet. Même aux mises en garde de Ryu, elle ne répondit que par un silence buté, le menton haut. Elle les suivit cependant scrupuleusement et ne s'éloigna pas d'un pas vers le sentier.

Oui, Svenhild voulait parier, mais pas avec Ryu. Aussi l'ignora-t-elle dédaigneusement, fidèle à sa promesse intérieure de le bouder encore au moins pour la journée. Razielle frissonna dans son fourreau. Une magie autre que celle qui la constituait s'insinuait en elle. Une nuance de mana se mêla au sang. Tout excitée de se voir donnée de nouveau la parole après de longues années de silence, elle laissa à peine le renard terminer sa phrase :

- "Amie" !? Amie... Tardive, heh ? Parler... après... grand silence.

La voix qui émanait du pommeau fit sursauter la viking, qui abaissa sur ce dernier un regard incrédule. C'était une voix rocailleuse, désagréable. L'épée avait la parole saccadée et agressive, une parole qui évoquait à Svenhild une voix de vieille sorcière. La rancune de Razielle était presque palpable, elle imprégnait l'air d'une aura menaçante. Ce métamorphe hypocrite, si serviable et flatteur du temps d'Arwen, n'avait pas eu une pensée pour elle lorsque Louviann l'avait livrée à la solitude et à la soif au fond d'un cercueil ! Et à leurs retrouvailles, le traitre ne lui avait pas laissé échanger avec lui le moindre mot, rien ! Des jours, des jours entiers qu'ils voyageaient ensemble, et ce sale petit Sans-Forme ne pensait qu'aujourd'hui à libérer sa voix ! Trahison innommable, il avait laissé un bandit sans renom la toucher et tenter de la dérober ! Une sale petite fouine de brigand qui n'appartenait PAS au Sang !!! Seuls les héritiers du Sang touchaient à sa belle garde, et encore ne les laissait-elle pas toujours repartir avec tous leurs doigts. Ses deux premiers pères étaient la seule exception qu'elle tolérait : Louviann, son tout premier maître et son commanditaire, et Forgerune, son créateur.

- Parier... Quoi ?

Sa voix enrouée trahissait sa curiosité, et un peu de méfiance. Quel intérêt y avait-il à parier sans enjeux ? Et que pouvait-il lui proposer qu'elle désirât ? Quand Doppelganger mentionna son surnom, elle commenta d'un ton appréciatif :

- Mmmh... Bonne renommée. Bien.

Le changelin connaissait bien l'épée : Svenhild sentit une chaleur sanguine émaner du pommeau. Razielle appréciait ses flatteries, et peut-être aussi, l'éventualité même que ses deux compagnons lui soient redevables d'un gage de son imagination. Pourtant, ce fut d'un ton qui n'admettait aucune réplique qu'elle répondit :

- Pas... parier... sans connaitre gage... Doppelganger ! Razielle... pas accepter... tout.

La viking, amusée, félicita intérieurement son épée. Razielle se méfiait de Ryu et de ses idées saugrenues. Elle n'avait pas pris la peine de demander ce que elle, Svenhild, demanderait, non. Elle ne remettait en cause que le gage du mercenaire. Svenhild souriait d'un air triomphant, fière de la confiance de son épée.

- Razielle, ma plus chère alliée, tu pourrais dire au mercenaire de ma part que moi non plus, je ne parierai pas sans connaitre son gage ? Je me fie à ta sagesse.

Svenhild avait décidé de ne plus parler au mercenaire de la journée, et elle s'y tiendrait. Razielle s'exécuta laborieusement, sa voix inhumaine s'escrimant à former des sons humains :

- Viking aussi... pas parier... sans connaitre... gage Doppelganger.

A l'inverse de Ryu, Svenhild trouvait très drôle la méfiance de Razielle. Le renard s'était probablement cru suffisamment rusé pour lui jouer un vilain tour. L'arme devait décidément bien le connaitre ! Mais il ne mit pas longtemps à se remettre de sa déception, et la proposition qu'il fit amusa tout autant la jeune femme. Razielle, raconter une blague ? Avec sa voix rêche et ses phrases lentes et approximatives, c'était comme demander à un muet d'entonner un chant qui ravît toute son audience ! Mais l'épée n'était peut-être pas tout à fait consciente de son manque d'éloquence car, après un instant d'hésitation, elle accepta.

- Oui... Razielle... sait blague drôle. Très drôle... Marché conclu. Si Razielle gagne... Ryu faire Razielle... Épée plus connue... de Calypta.

Razielle s'interrompit soudain, indécise, avant de s'écrier d'une voix orageuse :

- Pas pour bêtise ! Connue pour... Beaux combats.

Svenhild haussa le sourcil, et abaissa le regard sur sa monture, intriguée de la réponse du renard. Était-il en mesure de batir une telle réputation à l'épée ? Elle avait de "beaux combats" derrière elle assurément, et elle escomptait bien lui en offrir de plus beaux encore, si le mage de sang la lui laissait. Mais les armes magiques étaient nombreuses en Calypta, la distinguer à ce point ne serait pas aisé. Quand fut venu son tour de se voir réclamer un gage du renard, Svenhild soupira un "pff" agacé. Elle était dovahkiin, elle, pas ribaude. Le gage était puéril. Mais il était simple. Cela pouvait en valoir la chandelle.

- Oy, Razielle. J'espère que tu auras mieux à me faire faire que le tapin.

Svenhild n'était pas vraiment méfiante de l'épée, mais elle était curieuse.

- Oui... Très mieux : combat... revanche !

La viking hocha la tête. Oui, c'était mieux que de s'habiller en putain. La discussion s'arrêta là, les trois partis s'étant mis d'accord, et Svenhild n'ayant pas l'intention de donner ses gages sans demande expresse. Les deux demoiselles du groupe décidèrent de leur pari :

- Un lapin.

- Spriggan...