Si Mihnea était à l'aise dans les rues du quartier Sahoc, ce n'était pas le cas de son dragon. Il était clair que son apparence de haut elfe déplaisait à plus d'un regard. Il s'attendait même presque à voir débouler un agresseur mais leur chemin se déroula sans encombre jusqu'à la forge. Puis l'humain exigea du dragon que ce dernier frappe un enfant si ce dernier osait s'approcher de lui en riposte au geste de l'adulte.

Le dragon, choqué, s'exécuta tout de même lorsque malgré les menaces un des petits tenta de réprimer l'attitude du brun. C'est le cœur serré que le blond abattit donc une main sur l'enfant. La douleur d'être à l'origine d'une injustice lui transperça le cœur et il préféra fuir plutôt que d'assister à la suite des événements. De toute façon, il ne pouvait se soustraire aux ordres de Mihnea, il était en quelque sorte prisonnier de son propre corps. Condamné à satisfaire les moindres désirs d'un gamin égoïste et capricieux.

Contrairement à l'humain, le dragon examina sous toutes ses coutures la boutique dans laquelle il venait de mettre les pieds. Les créations naines étaient sans conteste digne d'admiration, même celle d'un dragon. Ces créatures savaient manier la pierre et le métal comme peu d'autres. Et leur savoir runique avait toujours attiré la convoitise. Le regard reptilien s'attardait donc sur toutes les œuvres de ce nain, et même s'il vivait dans le quartier du Sahoc, le dragon serait heureux de pouvoir discuter avec le forgeron. Mais il ne le pourrait probablement jamais...

Sans un mot, il assista alors à la discussion entre son geôlier et le maître des lieux. Il ressenti un pincement au cœur à l'évocation de ses écailles. S'il avait eu le choix, jamais il n'en aurait partagé avec le grossier prince. Un grognement de désapprobation draconique s'échappa alors de sa gorge, alors que ses pupilles rétrécies fusillaient l'humain du regard. Une violente envie de se transformer pour satisfaire la curiosité du fils de la pierre l'envahi mais savoir que d'autres de ses écailles lui serraient arrachées en guide de dédommagement le fit se calmer. Il ne pouvait que regarder sans répondre.

Gabriel écouta sans broncher le nain lui demander poliment de sortir de son échoppe alors que Mihnea passait sa commande. Il fin sourire espiègle se dessina alors sur ses lèvres. Il fit mine de ne pas avoir entendu les mises en garde du boutiquier et s'avança dans un coin de l'échoppe pour porter son regard bigarré sur les nombreuses merveilles qui s'y cachait... mais aussi pour préparer son mauvais tour.

Car même si les créations du nain avaient forcé son respect, il n'en restait pas moins un dragon et se faire insulter de la sorte avait lourdement froissé son ego.

Il écouta alors la conversation entre les deux mâles et attendit le moment propice pour surprendre sa proie. L'occasion se présenta lorsque la conversation s'arrêta sur ses écailles. D'un pas nonchalant, il se dirigea vers le nain et sans la moindre hésitation se mit à questionner son cavalier d'un ton neutre.

- Maitre... je sens que l'individu remet en cause la véracité de vos paroles. Je me dois, en tant que votre dragon, de protéger votre intégrité en l'obligeant à accepter la réalité...

A peine cette phrase fut-elle terminée que sa fine main elfique augmenta en taille, de même que toute sa silhouette, et se recouvrit d'écailles toutes plus étincelantes les unes que les autres. Deux imposantes cornes de la même couleur trônaient maintenant fièrement au dessus de son crane alors qu'une longue queue reposait lourdement sur le sol.

Il présenta alors son bras au nez du nain pour que celui-ci puisse examiner de plus près le membre qui lui était présenté.

Comme il s'y attendait, son maître n'apprécia que très peu son acte d'insubordination et tant pis si cela lui retombait sur la ganache plus tard, il c'était au moins amusé de voir la mine abasourdie des deux autres mâles.

Son humeur fut toutefois calmée par le sort réservé aux deux pauvres peaux-vertes qui avaient eu la malchance de vouloir entrer à ce moment-là. Sans mot dire, il sorti avec les deux nouveaux venus et comme l'avait ordonné le brun s'occupa alors de leur cas. Comme tout bon Redorien, il avait dans un premier temps tenté de calmer le colosse mais peine perdue, plus il tentait de s'excuser et plus l'autre s'énervait à tel point qu'ils en vinrent aux mains.

Heureusement que l'on était dans le question du Sahoc, là les bastons étaient monnaies courantes et celle-ci n'y fit pas exception. Personne ne sembla s'intéresser à la rixe qui opposait le dragon travesti en elfe et l'orc mâle. Sa compagne était trop occupée à soigner sa main meurtrie, il avait la chance de ne devoir en affronter qu'un. Enfin affronter était un bien grand mot compte tenu de la raclée qu'il lui infligea. Mais n'étant pas un mauvais bougre, le blond s'assura de juste faire passer le message et ne s'acharna pas sur sa pauvre victime.

Il retourna alors dans la boutique où semblait-il le nain et l'humain avaient terminé leurs négociations.

En voyant son écaille être troquée comme de la vulgaire monnaie, le dragon eu un léger pincement au coeur. Voilà à quoi donc cet malédiction l'avait réduit, à un état de porte-feuilles ambulant. La seule pensée qui lui remonta le moral était qu'au moins son nouveau maitre avait l'air de plus y porter d'attention que son précédent.

Il resta néanmoins muet lors de la transaction et resta docile, mieux ne valait pas énerver plus l'humain que ce qu'il n'était déjà, pas après la blague qu'il avait moyennement apprécié. Il fit preuve donc d'attitude exemplaire et suivi l'humain là où se dernier était porté par ses pas, en n'omettant pas de saluer poliment le boutiquier avant de le quitter.

Quand ils revinrent le lendemain matin, le dragon put voir l'étendue du savoir du nain. Tout ce qu'il pouvait dire était que les gantelets étaient magnifiques. Ils lui rappelèrent ceux porter par les chevaliers dragons sous leur forme humanoïde et une mélancolie s'empara de son être en repensant au souvenir douloureux de son défunt Père. Lui aussi avait eu pareils artéfacts entre les mains. Pour cela il avait sacrifié lui-aussi ses écailles. Mais le geste était consenti. Pas comme lui. Lui qui n'avait jamais osé faire ce sacrifice pour sa sécurité. En même temps, que pourrais bien faire un archer d'une armure de plaques? Mis à part être gêné? Rien.

Un léger sourire se dessina sur son visage en voyant le nain. Si un jour il était de nouveau libre, il se promettait d'aller lui passer une autre petite visite. En de meilleures circonstances cette fois...